jeudi 9 août 2012

Berlin 1936: un Comité olympique trop proche des nazis (1)

"On ne pourra jamais en avaler autant que l'on devrait vomir" - c'est ce que le régime nazi inspire au grand peintre allemand Max Liebermann (20.12.1934).[1]

Hans von Tschammer und Osten, ministre des Sports du IIIe Reich: "Le sport allemand est fait pour les Aryens" et "la direction de la jeunesse allemande appartient tout entière aux Aryens et non aux Juifs" (9.5.1933).  "Chaque athlète allemand doit participer volontairement au renforcement de la puissance militaire du peuple allemand"  (30.4.1933).

Première partie de la traduction d'un article paru dans le magazine flamand Joods Actueel le 2.8.2012 - Peter Marino du Gatestone Institute fait référence à l'article de Joods Actueel (Olympic Silence: The Anti-Semitic Past of the IOC) qui est, malheureusement, demeuré largement ignoré en Europe! Pour lire la deuxième partie de l'article cliquer ICI.

C'est grâce à la détermination du comte belge Henri de Baillet-Latour qu'Adolf Hitler a eu ses "Nazi Games". [Voir: CIO: en 1940 le comte Henri de Baillet-Latour déplorait les méfaits des Juifs .]

Le président actuel du Comité International Olympique (CIO) le comte Jacques Rogge n'est pas le premier président belge du CIO. De 1925 à 1942, Henri de Baillet-Latour a eu le privilège de présider aux destinés du CIO. Il reste un personnage controversé du fait de ses relations troubles avec l'Allemagne nazie, mais il est méconnu du public. Et pour cause.

Le comte Henri voit le jour en 1876 dans une vieille famille aristocratique belge. Son père, Ferdinand de Baillet-Latour, était gouverneur de la province d'Anvers. Après avoir fréquenté l'Université Catholique de Louvain, le jeune comte se lance dans la carrière diplomatique où il réussit fort bien. Il atteint l'immortalité en 1923 lorsqu'il est nommé président du Comité olympique belge, un poste qu'il occupera jusqu'à sa mort en 1942. Baillet-Latour était un cavalier accompli.

C'est grâce aux Jeux olympiques d'été d'Anvers en 1920 que ses talents d'organisateur lui valent une certaine notoriété dans le monde olympique.  Les Jeux se sont déroulés dans des conditions particulièrement défavorables: le temps de préparation est très court et la situation politique en Belgique, après la Première Guerre mondiale, est difficile. C'est tout naturellement qu'il est désigné pour succéder à Pierre de Coubertin comme président du Comité international olympique.

Et les événements prennent un tour méchant ...
En 1933, les nazis prennent le pouvoir et Adolf Hitler devient chancelier de l'Allemagne. Ce qui semble occuper les esprits du président Baillet-Latour et des membres CIO c'est d'avoir l'adhésion d'Hitler pour que les Jeux aient lieu en Allemagne conformément à la décision prise en 1931. Alors que, compte tenu des circonstances, on aurait pu croire que la sinistre idéologie nazie constituerait leur principale source d'inquiétude. Il est peu probable qu'ils n'aient pas été pleinement conscients du fait que l'esprit internationaliste des Jeux olympiques ne figurait pas en bonne place sur l'échelle de valeurs du Führer allemand et du nombre toujours croissant de ses supporters.

Bien avant 1936, les athlètes juifs avaient été exclus de clubs et associations sportives. En 1935, les lois anti-juives de Nuremberg pour la protection du sang allemand et de l'honneur allemand avaient été promulguées. Le Musée de l'Holocauste à Washington qualifie les Jeux de 1936 de "Jeux nazis" car ils furent un extraordinaire outil de propagande pour le Troisième Reich. Depuis trois ans des nouvelles alarmantes venaient d'Allemagne: le camp de concentration de Dachau avait été ouvert en 1933 [en 1936 il y avait déjà plus d'une vingtaine de camps de concentration en activité, où l'on enfermait surtout les opposants politiques.  Le sinistre camp de concentration de Sachenshausen ouvre en juillet 1936 et est bientôt dirigé par le sinistre Karl-Otto Koch]. Les commerçants juifs étaient boycottés. Les Juifs avaient été exclus de la fonction publique. A partir de 1933, ils n'étaient plus autorisés à enseigner et avaient été privés du droit de réunion et de liberté d'expression. La stérilisation des personnes handicapées était devenue légalement possible. Baillet-Latour devait être au courant de ces développements terrifiants mais ça ne semble pas l'avoir perturbé.

A partir de la gauche: trois champions olympiques Birger Ruud, Sven Eriksson et Reidar Andersen, Henri de Baillet-Latour et Karl Ritter von Halt, qui en faisant le salut nazi démontre clairement la politisation et la nazification des Jeux.  (Source)

L'opposition internationale au choix de Berlin grandissait, en particulier aux États-Unis où la critique était intense et soutenue. Mais Avery Brundage, le président du Comité olympique des États-Unis, un antisémite notoire, privilégiait Berlin: "Des mesures ont été prises pour veiller à ce que les principes fondamentaux du sport et de fair-play ni les valeurs olympiques de la liberté et l'égalité ne sont pas violés", déclara-t-il. Il convient de rappeler que Joseph Goebbels, le ministre du Reich pour la propagande, était d'un tout autre avis.  Il avait déclaré le 23 avril 1933: "Le sport en Allemagne n'a qu'une seule tâche: renforcer le caractère du peuple allemand et son esprit de combat et de cultiver une solide camaraderie nécessaires dans la lutte pour l'existence".

Vu l'important soutien pour le boycott aux États-Unis, il n'aurait pas fallu beaucoup de courage à Baillet-Latour pour priver Hitler de "ses" Jeux olympiques. Pourquoi est-il allé de l'avant malgré tout? Ernest Lee Jahncke, un membre américain du CIO, qui a exprimé clairement son opposition dans une lettre à Baillet-Latour, fut expulsé du Comité olympique et reste le seul membre dans les cent ans du COI à avoir été renvoyé.

De mal en pis
Lors des cérémonies d'ouverture des Jeux olympiques d'hiver à Garmisch-Partenkirchen, le 6 février 1936 et des Jeux d'été à Berlin le 1er août de la même année, Hitler était flanqué de Baillet-Latour. Comme prévu et redouté, les Jeux olympiques étaient devenus une formidable machine de propagande parfaitement maîtrisée par le régime nazi. Un journaliste a noté: "Il y a plus de drapeaux avec des croix gammées que les drapeaux olympiques suspendus à Berlin".

Baillet-Latour n'a pas non plus protesté lorsque, après les Jeux, le mouvement olympique international tomba sous la coupe des nazis: à Berlin, l'Institut international olympique fut fondé, financé et contrôlé par le ministère de l'Intérieur. Son journal officiel faisait partie de l'Olympische Rundschau contrôlé par le nazi Carl Diem. Le Comité International Olympique décerna en 1938 une médaille d'or olympique à la cinéaste Leni RiefenstahlWerner Klingenberg, un autre nazi de haut rang, fut nommé secrétaire général du COI. Théodore Lewald, qui était demi-juif, et qui avait organisé avec beaucoup de talent plusieurs Jeux olympiques, fut remplacé à la demande du Generaloberst Walter von Reichenau. C'est lui - ironie du destin - qui était à la tête de la sixième armée allemande qui occupa la Belgique, la patrie du comte Henri de Baillet-Latour. Le Generaloberst Walter von Reichenau est responsable du massacre de 30 000 Juifs à Babi Yar en Ukraine et a ordonné l'assassinat de quatre-vingt-dix enfants juifs à Belaja Zerkow pendant la guerre en Union soviétique.

Minimiser le passé
Après la guerre, la carrière controversée du comte fut à la fois obscurcie et louée. Dans le 51e bulletin du CIO, le Dr Karl Ritter von Halt raconte quelques histoires peu convaincantes sur des cas où Baillet-Latour se serait opposé à Hitler.  Le Fuehrer avait une opinion radicalement opposée et l'a fait savoir en des termes très élogieux dans une lettre de remerciements adressée au comte: "C'est uniquement grâce à votre généreuse collaboration que les Jeux se sont si bien déroulés".  Et le plus grand antisémite de tous les temps signe affectueusement "votre dévoué Hitler"!

La minimisation du rôle de Baillet-Latour est allée très loin. Des recherches effectuées par Joods Actueel tendent à montrer que la lettre que le comte a adressée le 3 mai 1933 à des membres du Comité olympique allemand a été manipulée. La lettre commence par "Mes chers collègues". Au pluriel. Au bas de la première page une ligne claire est visible qui semble indiquer que la suite de la lettre a été collée. A la fin il écrit: "Je compte sur votre dévouement, mon cher Collègue ..." Au singulier. C'est une question cruciale qui mérite d'être investiguée. Quel était le contenu dérangeant qu'on a voulu cacher?

La courte biographie officielle du CIO Baillet-Latour rédigée en 2011 décrit le rôle de l'organisateur des "Jeux nazis" ainsi: "Il a été réélu pour un second mandat lors de la session de Vienne de 1933 et est resté président jusqu'à sa mort en 1942 ". Il n'y a pas une seule référence à son rôle d'organisateur des "Jeux nazis".

Adolf Hitler lui rend hommage
"Les Juifs ont l'habitude de crier avant d'avoir un motif sérieux de le faire", écrivait le comte de Baillet-Latour à Avery Brundage, le président du Comité olympique des États-Unis, au sujet du possible boycott des Jeux olympiques de Berlin. Le comte Henri de Baillet-Latour décède en janvier 1942 et plus de nazis que d'athlètes assistent à ses funérailles. Non seulement des soldats allemands ont monté la garde devant le cercueil, mais sa veuve, la comtesse Elizabeth Clary, fit un détour à Berlin pour ramener quelques individus douteux de la commission sportive allemande. Mme de Baillet-Latour, la comtesse Clary, était une admiratrice de longue date d'Adolf Hitler. Elle avait félicité le Führer lors de l'invasion des Sudètes. Elle a également remercié Hitler "pour avoir introduit l'idéologie nazie en Belgique". Le secrétaire d'Hitler lui répondit: "Ma chère comtesse, je suis sensible à votre volonté de contribuer à nos efforts de paix". La comtesse a maintenu ce type de contacts jusqu'aux tout derniers jours du régime nazi.

Guido Joris, journaliste à Joods Actueel, a visité le Musée Baillet-Latour:

"Latour est un arrondissement de Virton, une ville située à 300 km d'Anvers Après un long trajet, j'ai trouvé le musée d'où l'on aperçoit la frontière belgo-française.  En face du musée se dresse une petite église.   J'ai trouvé la tombe de l'illustre comte dans le cimetière. Une stèle gravée avec les cinq anneaux olympiques et le nom du président du CIO a été érigée sur la pierre tombale originale qui était en mauvais état. La pierre, me dit-on, est un hommage rendu par le CIO à son ancien président. Quelques instants après, je vois la photo de Jacques Rogge.  Tout fier d'inaugurer la stèle. Il a bien trouvé plus d'une minute pour honorer la mémoire de son prédécesseur.  Une des salles du musée Latour est consacrée au comte Henri.  Une belle affiche des Jeux d'Anvers de 1920 y est exposée. Par contre, il y a une absence criante d'affiches des "Jeux nazis" que le comte a organisés en 1936 à Garmisch-Partenkirchen et à Berlin. Cet aspect de la carrière de Baillet-Latour n'est pas mis en avant et la scénographie du musée semble être décidée par le Fonds InBev-Baillet Latour qui a "pour objectif d'encourager et de récompenser les prestations à haute valeur humaine".  Cent mille euros ont été dépensés pour agrandir le musée Baillet-Latour musée: "L’apogée de cette carrière fut sans nul doute la difficile organisation des Jeux de Berlin en 1936 en pleine ascension du nazisme" et d'affirmer qu'il a réussi à prendre position contre les plans idéologiques d'Hitler.  J'ai écouté patiemment les commentaires du guide jusqu'à ce que nous arrivions à la salle de "notre comte". Sa  photo avec Hitler est accrochée à un mur. Je me suis approché pour lire la légende et le guide m'a dit d'un ton réprobateur: "Comme vous le voyez, il est en compagnie d'un seigneur des ténèbres". Sous la photo une plaque explique que le président de Baillet-Latour avait prévenu Hitler avant l'ouverture officielle que le CIO allait appliquer strictement le protocole olympique. La phrase est suivie du symbole copyright © CIO. Il devrait donc être clair que le CIO a une grande influence sur la manière dont l'histoire est racontée dans le musée."  (A SUIVRE)

La version anglaise de cet article: The shameful past of the Olympic Games and its present-day repercussions.  Peter Marino du Gatestone Institue fait référence à l'article de Joods Actueel (Olympic Silence: The Anti-Semitic Past of the IOC) qui est, malheureusement, demeuré largement ignoré en Europe!

[1] Cité par Fabrice d'Almeida, La vie mondaine sous le nazisme, Perrin, 2006, p. 132.

1 commentaire :

Anonyme a dit…

À lire :

* " Le National-socialisme et l'Antiquité " de Johann CHAPOUTOT


http://recherche.univ-montp3.fr/crises/index.php?option=com_content&task=view&id=311&Itemid=1